L’emblématique smoked meat montréalais de Delibee’s
Après avoir fait ses armes au légendaire Main Deli Steak House, Philip Varvaro perpétue les techniques traditionnelles depuis plus de 25 ans dans ce restaurant de Pointe-Claire.
On peut dire que pour vraiment savourer la bonne cuisine, il faut voyager. Et même quand on est du coin, il faut savoir explorer son propre terrain.
À Montréal, des trésors cachés et des héros méconnus se nichent dans chaque recoin de l’île, souvent éclipsés par des institutions plus centrales et des quartiers branchés.


Photograph: Audrey-Ève Beauchamp / @audreyeve.beauchamp
Philip Varvaro est l’un de ces héros discrets. Propriétaire-exploitant de Delibee’s, un restaurant de smoked meat établi à Pointe-Claire depuis 1999, il admet que les Montréalais ont parfois du mal à le trouver. Son adresse compacte de 24 places se fond dans le décor de la rue, partageant un mur avec la Mayfair Tavern, qu’il a rachetée en 2008. Son apparence modeste dissimule pourtant le savoir-faire d’un maître du fumoir.

Jusqu’à l’os
Aussi emblématique que la meilleure poutine ou les bagels, le smoked meat montréalais occupe une place à part dans l’ADN culinaire de la ville. Pourtant, rares sont ceux qui le préparent encore à l’ancienne.
« Le processus est celui des petites productions d’autrefois », explique Varvaro. « C’est traditionnel. Delibee’s est un petit restaurant, alors je peux me permettre de maintenir cette qualité. Mon fumoir n’a qu’une certaine capacité, je ne peux pas produire en masse, mais ça me va. »




Photograph: Audrey-Ève Beauchamp / @audreyeve.beauchamp
Ayant grandi dans le monde des delicatessens avec son père et l’institution du smoked meat The Main, Varvaro a commencé dès l’adolescence à y travailler aux côtés de sa famille de huit. Entre la plonge et le transport de pièces de viande de 70 livres dans les escaliers, il a aussi croisé Leonard Cohen et une toute jeune Céline Dion.
« Quand j’étais jeune, je voulais juste m’amuser. Travailler dans un resto, ça ne me tentait pas trop. Mon père me donnait les pires tâches, celles que personne ne voulait », raconte-t-il en riant. « Mais c’est comme ça que j’ai tout appris, et au final, c’était une bonne chose. »


Photograph: Audrey-Ève Beauchamp / @audreyeve.beauchamp
De la viande au sandwich
Le smoked meat de Varvaro vaut le détour, car son ingrédient clé est aussi le plus précieux : le temps.
Il travaille avec des briskets d’Alberta et jongle avec les variables de la saumure, des épices, du temps de fumage, du mélange de bois de pommier et d’érable, des températures… Puis vient la cuisson à la vapeur, ajustée selon la tendreté de la viande. Un processus exigeant qui ne cède qu’à son sens du détail et de l’expérimentation. Selon lui, aucun brisket ne se ressemble exactement.


Photograph: Audrey-Ève Beauchamp / @audreyeve.beauchamp
« Il y a tellement de petites choses. La plupart des gens ne remarqueraient pas les variations, mais moi, je les goûte », dit-il.
Chaque tranche de smoked meat servie ici – ou au Mayfair Tavern d’à côté, où elle est discrètement passée au bar par une trappe – demande plus d’une semaine de préparation.
Puis il y a le temps que les clients passent sur la route pour venir, et celui qu’ils ont passé à savourer ce smoked meat depuis l’ouverture du restaurant.

« Quand un client plus âgé entre et qu’il sait vraiment ce qu’est le smoked meat — qu’il a connu l’époque où il était encore fumé comme il faut — et qu’il me dit : “Ça, c’est du vrai smoked meat. Je m’en souviens.” Ça, c’est le plus beau compliment », raconte Varvaro.
« Ça me rend fier de ce que je fais, et ça me donne encore plus envie de continuer. »

Comment bâtir une institution
Faire de Delibee’s ce qu’il est aujourd’hui n’a pas été de tout repos. Des années de travail acharné ont été nécessaires pour atteindre ce statut. Le restaurant fait désormais partie intégrante du paysage de Pointe-Claire, même si Varvaro a dû tracer son propre chemin pour y arriver.
« Il faut suivre son instinct et faire ce qu’on ressent. Dans la restauration, il y a des règles : vendre et acheter à un certain prix, gérer les choses d’une certaine façon », dit-il.
« Mais moi, le prix ne m’a jamais vraiment préoccupé. Je me dis que si quelqu’un entre ici, c’est comme s’il entrait chez moi. Et si quelqu’un entre chez moi, je vais le nourrir comme un invité. »

Une approche humaine qui a porté ses fruits. Ceux qui savent, savent : le smoked meat de Varvaro est à classer aux côtés des grands classiques de Montréal, aux côtés des bagels tout juste sortis du four et de la réconfortante simplicité d’une bonne poutine.